Je photographie, j’avance

10 novembre - 4 décembre 2021

Antoine Biron, Céline Bonnard, Clarisse Collier, Stéphanie Kowalski et Flora Nguyen
Dans le cadre des Rencontres Photos du 10e

Centre Jean Verdier (2e et 3e étages) – 11, rue de Lancry – 75010 Paris

« Merci Bop C(o)u» – La colonisation des corps`

Flora Nguyen

Dans cette série d’autoportraits, j’interroge la domination masculine sur les femmes d’origine « exotique » suscitant des fantasmes enracinés dans l’imaginaire colonial. les représentations coloniales du corps des femmes « indigènes », dont les cartes postales très crues ont massivement circulé depuis la fin du XIX e / début du XXe siècle et dont les conséquences sont aujourd’hui encore visibles, comme l’hypersexualisation des femmes asiatiques dans leurs représentations occidentales. La colonisation se déroule dans un lieu éloigné des instances morales traditionnelles, lieu de tous les possibles, notamment dans les relations amoureuses. Les colonies semblent peuplées de femmes faciles, comme le rappelle la chanson La petite Tonkinoise,
le Tonkin est « l’ paradis des petites femmes ».

Dans la littérature coloniale, un parallèle est souvent fait entre la femme et le pays indigène, s’offrant tous les deux à la conquête européenne. Posséder une femme indigène reviendrait à posséder l’âme du pays colonisé. Inversement, posséder un pays c’est aussi en posséder les femmes. La femme indigène est une figure de la terre à conquérir et donc l’expression d’un prestigieux sentiment patriotique. La femme, sensuelle car de nature tropicale comme son territoire, devient exotique. Erotique. Elle n’existe pas en tant qu’individu mais est l’incarnation d’un fantasme, comme représentante d’un modèle générique, incarnation d’un univers Dans cette série d’autoportraits, je suis l’Exotique : l’histoire de mes ancêtres, blancs « par accident » et « jaunes » dont je suis le corps aujourd’hui, entre en résonnance avec celles de toutes les femmes des pays colonisés, de l’Afrique à l’Asie. Comme Joséphine Baker, je joue du racisme et du désir colonial, nourri d’érotisme exotique. Cette série est doucement cruelle et teintée d’humour, dont le décalage et la subversion mettent à distance ce passé (et présent) très violent.

A fleur de draps

Clarisse Clozier

« Le réveil commence comme un autre rêve. »
Paul Valéry

Le réveil, passage de l’évanescent au concret, où l’esprit reprend prise sur le corps et le fait advenir sujet de l’instant présent. Moment familier, mais dont nous n’avons pas grande maîtrise ni conscience, dans notre société où le paradigme de l’immédiateté productive est promu en valeur ajoutée. Or, cet instant fécond qui se déploie tout en lenteur nous est essentiel, comme une renaissance perpétuelle et promesse d’un jour incarné et fertile. De ce moment, les draps du lit sont bien souvent le premier vecteur sensoriel ; tantôt évanescent, tantôt substantiel et nervuré, le drap (comme la surface sensible de la pellicule) révèle le corps qui reprend forme et esprit.

Le sténopé, procédé ancien privilégié dans ma pratique photographique, fut une évidence
pour cette réalisation. Son amplitude du temps d’exposition (10 à 20min) me permettait de recréer les conditions physiologiques de ce moment intimiste pour mon modèle et de la guider dans un schéma corporel narratif semblable à celui de l’éveil. La profondeur de champs infinie créant une distorsion des lignes du corps provoquant un certain trouble visuel qui souligne l’expansion et la sensualité du corps. Enfin, la pratique du sténopé imposant un cadrage sans viseur, cette prise de vue instinctive convient parfaitement à cet état « d’entre-deux » que j’ai voulu capter.

Série réalisée avec une boîte Sténop’Amy®
Tirages argentiques par l’auteur
Remerciements spéciaux à Annick Maroussy et Guilaine Miot

www.clarisse-clozier.fr

Mimétisme

Antoine Biron

Mimétisme épingle les similitudes des comportements humains inhérents à notre époque. C’est une tendre caricature de notre manière d’être, une façon de montrer que l’on est tous des êtres humains pas très différents. À partir de centaines de photos prises en l’espace d’environ une heure à chaque session, je reconstitue un instantané selon ma vision. Je condense
dans chaque image ce qui pour moi a été le plus représentatif durant la séance, ce sur quoi j’ai focalisé mon attention aussi. J’invente un monde,
le réordonne en réunissant des gens qui ne se sont jamais croisés afin de retrouver du collectif. Certaines images rendent compte de postures répétées dans un lieu à un moment donné. D’autres sont construites à partir d’une idée graphique, d’un motif. Je modèle la réalité afin de créer un tableau cohérent, sans jamais effectuer de retouche sur le décor ni sur les personnages

La Nationale 7

Céline Bonnarde

Il est parfois singulier de voir comment une rupture amoureuse nous conduit à faire de belles et fortes rencontres intellectuelles et nous pousse à reprendre la route de notre histoire passée, pour mieux reprendre le chemin de notre vie. C’est ce qui m’a traversée, il y a quelques années. Pensant retrouver mes marques, des repères, j’ai repris le boitier 6×6 laissé depuis trop longtemps sur l’étagère et suis partie pour un voyage en solitaire sur cette route vieille de centaines d’années, la Nationale 7.

Aussi mythique que la «66» américaine, cette Nationale traverse mon histoire personnelle, mon origine, le pays de mes souvenirs. Point de départ de mon histoire personnelle. Ma Nationale, comme je pourrais dire ma maison. Non par sentiment d’appartenance, mais plutôt sentiment d’intimité. Je la connais depuis mon enfance cette route. Lors de ce voyage en solitaire, j’ai ancré mon histoire à son port, la maison de mes grands-parents, j’ai retrouvé les images du passé pour nourrir un futur, mais la vie de cette route a changé, elle n’a plus le même succès, la même splendeur. Quoi qu’il en soit, on refait toujours le chemin à l’envers de notre route personnelle, à un moment donné de notre vie, pour mieux poursuivre son chemin.

Je suis repartie sur cette route plusieurs fois ces dernières années. Partie seule depuis Paris pour rentrer chez mes parents, j’ai redécouvert tous ces lieux qui avaient animés mes jeunes années d’adulte. Et j’ai eu envie de raconter mes émotions à travers des photographies empreintes d’une certaine nostalgie. De ce voyage introspectif sont nées ces images qui parlent du passé et du présent en même temps, comme une acceptation des choses et de leur réalité, comme un nouveau départ : ma Nationale 7. Mon but n’était pas de faire découvrir cette route, mais de partager une partie de mon chemin, une partie de moi-même. Du plus intime de cette route, comme la maison de mes grands-parents, au plus commun des souvenirs de chacun, comme les routiers.

celinebonnarde.com

In(Vitro)Fertility

Stéphanie Kowalski

Dans toutes les cultures traditionnelles et dans l’histoire de l’art, la fertilité fait l’objet d’une attention particulière. A contrario, l’infertilité est un sujet qui n’est pas traité, et ce, encore aujourd’hui avec l’art contemporain. Ce projet aborde un phénomène sociétal touchant de plus en plus d’individus, plus justement de couples, car c’est bien le désir d’enfant qui fait prendre conscience de l’infertilité. Nous entrons ici dans la sphère très intime de la femme, indirectement du couple.

Du couple ? « Concevoir un enfant » ainsi rend un acte naturel et simple, en une suite de règles protocolaires complexes, intrusives et répétées : égrainage des jours pour un calendrier suivi « au jour près », multiples documents administratifs, examens, analyses, rendez- vous imposés, donc absences au travail, attentes des résultats, annonces des résultats, traitements, changement des traitements, questionnement du personnel médical sur des sujets où l’on aurait jamais cru avoir un jour à répondre. Puis les questions plus ou moins adroite des proches et des moins proches, les réponses que l’on donne, ce que l’on a envie de dire ou pas, car souvent la déception (taux de réussite inférieur à 25%) .